Julian Assange et le conflit ukrainien : enjeux judiciaires et géopolitiques

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Publié le 04.10.2024 à 11h00 Mis à jour le 04.10.2024 à 14h01

Du 29 septembre au 4 octobre 2024, Strasbourg a accueilli la dernière partie de la session 2024 de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE). María Corina Machado, figure politique vénézuélienne et défenseuse des droits, a reçu le Prix Václav Havel des Droits de l'Homme. Parmi les temps forts de la semaine figurent la condamnation de Julian Assange, le débat d'urgence sur les prisonniers de guerre et les disparus en Russie, les discussions sur la dégradation des droits de l’homme en Azerbaïdjan, ainsi que la protection des militants iraniens en Europe. 

La Chambre des Députés a été représentée par Gusty Graas, Octavie Modert, Yves Cruchten, Paul Galles et Alexandra Schoos. Le Grand-Duché se prépare à présider le Comité des ministres du Conseil de l’Europe à partir de novembre 2025. Dans ce contexte, la commission permanente de l’APCE se réunira les 28 et 29 novembre à Luxembourg.

De gauche à droite : Yves Cruchten, Alexandra Schoos, Gusty Graas, membres de la délégation luxembourgeoise

La détention et la condamnation de Julian Assange

Julian Assange s'est exprimé pour la première fois depuis sa libération lors d'une audition parlementaire devant la commission des affaires juridiques. Lors de son intervention, il a tenu à souligner qu'il était désormais un homme libre, non pas grâce au bon fonctionnement du système, mais parce qu'il avait plaidé coupable. Assange est le premier éditeur à avoir été emprisonné en vertu de la loi sur l'espionnage de 1917.

Le député Yves Cruchten lui a demandé s’il était conscient de la faible protection des journalistes en Europe et de l’impact de son affaire sur le journalisme à l'échelle mondiale. Assange a reconnu avoir anticipé les risques en invoquant l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, tout en jugeant que la publication justifiait ces dangers. Cependant, il a admis avoir naïvement cru en la solidité des lois, constatant qu’elles peuvent facilement être modifiées et réinterprétées en fonction des intérêts politiques. Il a également mis en avant l’influence considérable des services de renseignement, capables de réinterpréter même la Constitution américaine.

Le lendemain, un rapport sur les répercussions de cette affaire a été débattu en séance plénière. Les parlementaires ont adopté une résolution reconnaissant qu’Assange était un prisonnier politique, d’après la définition de 2012 propre à l’APCE. Le texte exhorte les États-Unis à réviser d’urgence la loi sur l’espionnage de 1917, en limitant son application aux seuls cas où une intention malveillante de nuire à la sécurité nationale est prouvée. Les membres ont également appelé à des enquêtes impartiales et transparentes sur les crimes de guerre et violations des droits humains révélés par WikiLeaks. Enfin, le Royaume-Uni a été invité de revoir sa législation sur l'extradition afin d'empêcher l'extradition pour des infractions à caractère politique.

L’Ukraine au cœur des débats

La guerre d'agression menée par la Fédération de Russie contre l'Ukraine a occupé l’autre place centrale de cette, avec pas moins de cinq points à l'ordre du jour directement liés à ce conflit. Vladimir Kara-Mourza, lauréat du Prix Václav Havel 2022, récemment libéré, a fermement dénoncé la répression en Russie. Depuis le début de l'invasion en février 2022, plus de 20 000 Russes ont été arrêtés pour avoir manifesté contre la guerre, tandis que le nombre de prisonniers politiques sous le régime de Vladimir Poutine est estimé à plus de 1 300.

En adoptant une résolution dédiée à la Banque de développement du Conseil de l’Europe (CEB), l’APCE a appelé à l’intensification de son soutien à l'Ukraine. Cet appui vise à accompagner les efforts de relance, de reconstruction et de réhabilitation dans les secteurs sociaux cruciaux, en mettant l’accent sur le logement et la santé publique. L’Ukraine avait intégré la CEB l’année passée.

Dans son discours introductif, Alain Berset, secrétaire général du Conseil de l’Europe, a fait de l'Ukraine l'une des priorités majeures de son mandat, réaffirmant l'engagement inébranlable de l'organisation envers le pays. Il a insisté sur l'urgence de créer un tribunal spécial pour juger les crimes de guerre, ainsi que sur la nécessité d'un registre de compensation pour les victimes, financé par les États membres. Berset a également souligné l'importance du rôle de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), seule institution judiciaire à juger les violations liées à la guerre depuis 2014, tout en rappelant que son efficacité dépendra de l'élargissement de ses membres.

Lors d'un débat tenu selon la procédure d'urgence consacré aux prisonniers de guerre et personnes disparues, les parlementaires ont exprimé leur soutien à l'idée d'un échange « tous contre tous » des prisonniers de guerre entre l'Ukraine et la Russie, visant à alléger la souffrance des captifs des deux côtés du conflit.

Enfin, l’APCE a officiellement reconnu l’Holodomor comme un génocide. La Chambre des Députés avait déjà franchi cette étape en adoptant une résolution le 13 juin 2023. À l’occasion du 90e anniversaire de cette famine artificielle, une résolution a été approuvée à l’unanimité, appelant les États membres à tout mettre en œuvre pour éviter la répétition de telles tragédies. Le texte encourage également le Procureur de la Cour pénale internationale à envisager sérieusement d'examiner les allégations de génocide visant actuellement le peuple ukrainien.