Quel filtrage pour les investissements étrangers ?

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Publizéiert le 24.04.2023 à 15h05 Update le 24.04.2023 à 15h06

Comment éviter que des investissements étrangers au Luxembourg puissent cacher des intentions géopolitiques et stratégiques de pays tiers et porter atteinte à la sécurité nationale ou à l’ordre public ? Le projet de loi 7885 vise à établir un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers dans une entité luxembourgeoise qui exerce une activité critique au Luxembourg. Les membres de la Commission des Affaires étrangères et européennes et celle des Finances ont débuté les travaux parlementaires ce lundi 24 avril 2023 sur ce texte qui suscite encore bon nombre de questions.

Le projet de loi 7885, pour lequel Yves Cruchten (LSAP), Président de la Commission des Affaires étrangères et européennes, a été désigné rapporteur, repose sur un règlement européen datant de 2019. Ce projet de loi s’inscrit dans un ensemble de règles européennes déjà en place qui ont toutes vu le jour une fois que la Commission européenne ait pris conscience du risque émanant des investissements étrangers entre autres dans le contexte de la prise de contrôle du port de Pirée en Grèce par des investisseurs chinois.

 

Le mécanisme national de filtrage des investissements prévoit un certain nombre de règles et de conditions pour des investissements étrangers. Le projet de loi définit 11 secteurs critiques allant de la défense à l’énergie en passant par l’aérospatial. Une certaine marge de manœuvre est prévue pour les autorités concernant d’autres activités ou productions qui seraient liées à ces secteurs. Le projet de loi inclut uniquement les banques systémiques pour le Luxembourg. Certains députés se sont intéressés à l’impact pour la place financière et aux banques.

 

Concrètement, il est prévu que l’investisseur est responsable de notifier obligatoirement le Ministère de l’Économie. Ce sont les investisseurs issus d’un pays tiers (hors espace économique européen) qui sont visés. Il s’agit des investisseurs qui s’apprêtent à détenir la majorité des votes des actionnaires ou à « franchir directement ou indirectement le seuil de 25% de détention du capital ». Au cas où les investisseurs manqueraient de notifier les autorités luxembourgeoises, ils risquent une sanction dont des amendes (jusqu’à 1 million d’euros pour les personnes physiques et jusqu’à 5 millions d’euros pour les personnes morales).

 

Le Ministre de l’Economie s’appuie sur un comité interministériel de filtrage pour toutes décisions prises dans le domaine. Il peut autoriser ou bloquer un investissement ou bien l’autoriser en imposant certaines conditions. Les experts présents en commission parlementaire partent du principe que ce troisième scénario soit souvent applicable pour des situations mitigées et complexes.

 

Les règles prévues par le projet de loi ont suscité bon nombre de questions au sein de la commission. Certains députés ont jugé le seuil des 25%, très, voire trop permissif et ont posé la question de comment limiter le risque d’espionnage économique. D’autres se sont renseignés sur les démarches qui consistent à identifier les bénéficiaires économiques d’un investissement dans des structures entrelacées souvent très internationales et très complexes. D’autres se sont intéressés à la question de savoir si c’était uniquement la nationalité d’un investisseur qui pourrait faire de lui un investisseur susceptible de porter atteinte à la sécurité nationale.

 

Un mécanisme d’échange entre pays européens

En plus de la création du mécanisme de filtrage, le projet de loi vise à mettre en place un dispositif de coopération avec les autres membres de l’Union européenne et la Commission européenne. Si le Luxembourg peut prendre des notifications en considération, il reste souverain dans ses décisions, ont souligné les experts du Ministère des Affaires étrangères en réponse à des craintes formulées par certains députés. Y a-t-il un risque que ces notifications puissent être utilisées à d’autres fins par les partenaires européens ? Dès le début des négociations sur ce mécanisme, le Luxembourg a été attentif à ce que l’instrument ne puisse pas être utilisé pour des questions concernant par exemple les règles de la concurrence, selon les représentants du Ministère.

 

Les discussions continuent en commission parlementaire

Par ailleurs, une deuxième proposition de texte vise à mettre en place un cadre concernant les investissements étrangers. Il s’agit d’une proposition de loi du député Claude Wiseler (CSV). Lors d’une prochaine réunion des deux commissions parlementaires, les députés devraient amender le projet de loi pour répondre aux critiques du Conseil d’État (avis complémentaire), revenir aux questions concernant entre autres le champ d’application et analyser également la proposition de loi (7787).