Caritas : la Justice explique une escroquerie moderne

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Publié le 04.12.2024 à 16h26 Mis à jour le 05.12.2024 à 14h51

Des représentants des autorités judiciaires ont été reçus à l’occasion d’une réunion de la Commission Spéciale « Caritas » afin d’expliquer aux députés les mécanismes de l’escroquerie à 61 millions d’euros dont a été victime la Caritas et quels sont les moyens d’agir de la Justice dans les affaires de ce type. 

« Comment éviter une seconde affaire Caritas ? ». C’est la question formulée par Stéphanie Weydert, qui assure la Présidence de la Commission Spéciale « Caritas », dans son introduction à l’occasion de la réunion de ce mercredi 4 décembre avant de donner la parole aux représentants de la Justice reçus pour s’exprimer sur l’affaire. La délégation comprenait notamment le Procureur général d’État Martine Solovieff, le Procureur du parquet de l’arrondissement de Luxembourg Georges Oswald, Jean-François Boulot, procureur adjoint et Chef du Département éco/fin du Parquet de Luxembourg, Max Braun, Directeur de la Cellule de Renseignement Financier (CRF) et Dominique Peters, substitut principal du Procureur d'État.

 

Tous ont été amenés à répondre aux questions des députés autour de ce que l’on nomme une « fraude au Président », le type de fraude dont aurait été victime la Caritas, qui consiste à « piéger un collaborateur habilité à effectuer les paiements de l'entreprise, le but étant qu'il paie une fausse facture ou réalise un transfert d'argent non autorisé » comme la définit Europol.

Des moyens d’une grande complexité technique et logistique utilisés par les escrocs

 

C’est un système d’escroquerie et de blanchiment complexe que les représentants des autorités judiciaires ont décrit aux députés au fil de la réunion pour souligner quelles sont les difficultés pour traiter le type d’escroquerie dont il est question dans l’affaire Caritas. Tout en affirmant ne pas pouvoir s'exprimer sur le détail de l'affaire Caritas, vu qu'il s'agit d'une procédure en cours, les responsables présents à la réunion ont décrit aux députés les pratiques criminelles actuelles.

 

Comptes IBAN virtuels qui permettent des virements allant en réalité vers l’étranger. Dispersion des sommes escroquées sur une multitude de comptes appartenant soit à des personnes non impliquées, soit ouverts avec des identités usurpées. Fonds appartenant à des victimes d’escroqueries différentes sur les mêmes comptes compliquant la restitution des fonds. Comptes n’appartenant jamais à l’escroc qui est véritablement derrière l’affaire : les mécanismes employés par les criminels modernes sont complexes et la justice a du mal à suivre, notamment car il est difficile de recruter des profils spécialisés, sujet qui avait déjà fait l’objet d’une réunion à la Chambre des Députés.

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La notion de « crime as a service » a également été évoquée, avec des services de blanchiment proposés par des réseaux mafieux professionnels d’une grande efficacité. 

 

« Des années de retard »

 

Pour résumer la situation, le Procureur général d’État Martine Solovieff a affirmé que les transactions bancaires dans le cadre d’une escroquerie pouvaient avoir lieu en un jour, alors que la Justice met, dans les conditions actuelles, des années pour résoudre une affaire. Le fait que les comptes concernés sont dispersés à travers le monde rend l’éclaircissement des affaires d’autant plus difficile. 

 

Interrogés par les députés sur les moyens d’améliorer la situation, les représentants de la Justice ont globalement plaidé pour une réforme des textes législatifs et une amélioration de la collaboration entre les acteurs qui travaillent sur ce genre de cas au niveau international. Les inculpations et les confiscations seraient notamment d’une grande complexité dès qu’une dimension transfrontalière est présente. Il faudrait également se donner des moyens en cas d’identité usurpée pour les propriétaires de comptes, situation dans laquelle il n’est pas possible de faire des poursuites. 

 

Martine Solovieff a entre autres plaidé pour la mise en place dans l’UE d’un magistrat de liaison européen pour tous les pays membres, qui pourrait faire les connexions nécessaires. Le modèle actuel serait basé sur la voie diplomatique qui ne donnerait pas de résultats suffisants. Cette approche devrait cependant être une initiative européenne, a encore affirmé le Procureur général d’État.

 

Les criminels sont à l’avant-garde des technologies, mais le bon sens peut protéger des escroqueries

 

Interrogés par les députés qui ont souhaité savoir si une affaire comme l’affaire Caritas état encore possible à l’heure actuelle, les représentants de la Justice ont clairement répondu par l’affirmative. Les criminels seraient en permanence en train d’adapter leurs pratiques en fonction des nouvelles technologies, allant jusqu’à recourir à l’intelligence artificielle pour imiter la voix de membres d’une organisation afin de persuader un collaborateur d’effectuer un transfert d’argent.

 

Répondant toujours aux députés, les représentants ont encore affirmé que certains réflexes pouvaient largement prévenir les escroqueries : à partir du moment ou une entreprise est confrontée à un virement sur un nouveau compte elle doit se demander si cela fait sens, car la grande majorité des virements se font sur des comptes déjà connus. S’il y a le moindre doute, il faut s’adresser par téléphone à un interlocuteur de l’entité qui demande le virement, en passant par un numéro dont on dispose déjà pour éviter encore davantage les arnaques potentielles, notamment les plus poussées qui utilisent l’intelligence artificielle pour imiter les voix des personnes.

 

La semaine prochaine, la Commission spéciale « Caritas » recevra des représentants des ministères. Le 8 janvier, ce sera au tour de représentants de la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) de répondre aux questions des députés.